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Communication de crise : les marques à l’épreuve des millenials et/ou de la logique booléenne des réseaux sociaux ?

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Dans la foulée de mon article de la semaine passée, consacré aux croyances et aux attentes des générations Y et Z, il me tenait à coeur de vous entretenir aujourd’hui du rapport particulier qu’entretiennent les millenials – et en réalité de plus en plus de socionautes – avec les marques en situation de crise.

A cet égard, je vous avoue avoir été très marqué (et inspiré) par un article de Jean-Marc Lehu¹, qui n’y va pas avec le dos de la cuillère avec les millenials, puisqu’il nous les désigne carrément comme les « nouveaux bourreaux de la réputation des marques », dont l’instrument de châtiment et de torture préféré ne serait autre que les réseaux sociaux, bien évidemment…

Il est vrai qu’à première vue, de par leur exigence presque inquisitoriale de transparence, leur hyper-sensibilité aux dérapages des institutions et des « puissants » de tout acabit, leurs jugements souvent manichéens, leur maîtrise des outils digitaux et leur goût du (bad) buzz, les « Y » et les « Z » font souvent figure de premiers fossoyeurs de la réputation des marques en crise.

Mais comme le reconnaît incidemment Jean-Marc Lehu lui-même, en nous décrivant le fonctionnement et certaines déviances des réseaux, il en va de même de toutes les générations d’internautes en réalité, tant il est vrai que les réseaux sociaux ont démultiplié de manière exponentielle les mouvements d’humeur des socionautes vis-à-vis des entreprises et largement contribué à alimenter leur intransigeance.

Primauté des émotions sur les faits et du faux sur le vrai, mauvaises interprétations de messages et de contenus de marques, logique « booléenne » des réseaux dans des contextes d’hyper-sensibilité sociétale, surexposition sans précédent liée à l’instantanéité et à l’universalité des médias sociaux : le nouveau cocktail 3.0 est explosif pour les marques en crise, qui doivent plus que jamais faire preuve de prudence, d’empathie… Et faire de plus en plus souvent amende honorable, même quand elles ne sont coupables de rien… ce qui arrive plus souvent qu’on le croît (!)

C’est de ce sujet à la fois passionnant et un brin inquiétant pour tous les communicants (et les citoyens) que nous sommes, que je vous propose de débattre aujourd’hui. En commençant par vous souhaiter une bonne fin de week-end pascal à toutes et tous, bien sûr.

Des millenials plus exigeants vis-à-vis des marques et plus réactifs à leur moindre faux-pas que leurs aînés ?

Dans le portrait qu’il dresse des générations Y et Z, pour le compte de la Revue des marques, Jean-Marc Lehu s’empresse d’emblée de reconnaître, comme la plupart des autres experts que j’ai cités la semaine dernière, qu’il faut se garder de toute généralisation hâtive et des visions stéréotypées. L’homogénéité de cette classe d’âge des « millenials » étant un leurre, ce ne sont pas tant ses caractéristiques sociologiques ou comportementales qu’il faudrait considérer, que ses attitudes et croyances communes et ce ciment qui caractérise la plupart des « digital natives » occidentaux : à savoir un usage et une maîtrise encore plus poussés des réseaux sociaux modernes que leurs aînés.

Aux exceptions individuelles près, d’après l’enseignant de Paris 1, les Y et les Z partageraient ainsi avis, commentaires et moments de vie sur leurs réseaux sociaux favoris beaucoup plus facilement que ne le font leurs parents et grands parents et constitueraient de fait un public d’autant plus plus sensible et imprévisible qu’ils seraient hyper-réactifs à l’actualité.

Partant de ce constat a priori assez factuel, Jean-Marc Lehu n’y va pas vraiment de main morte avec les millenials dans la suite de son article. Accusés de bien des maux, les 18-35 ans seraient pour ainsi dire des « idéalistes de salon », « prompts à soutenir une (grande) cause et à défendre systématiquement le faible et l’opprimé, […] pressés de critiquer les puissants irrespectueux de la communauté et à vilipender les marques jugées déviantes, à militer en faveur de l’environnement et à souhaiter tout changer pour un monde meilleur »… pourvu que cet engagement n’aille pas au-delà d’un clic sur l’icône d’un pouce levé ou d’une simple coche sur la petite case d’une pétition pré-rédigée.

« Slacktivists », abréviation de slackers (flemmards) et d’activists (activistes), les millenials seraient « très majoritairement égocentriques » et plus intéressés par l’émulation collective et la forme de validation sociale que leur apporterait leur engagement a minima via les réseaux sociaux que par un militantisme sincère et une conviction inébranlable envers les causes qu’ils défendent, parfois très momentanément d’ailleurs…

Générations volontiers manichéennes et peu réceptives aux nuances interprétatives (toujours d’après Jean-Marc Lehu) les Y et les Z formeraient de surcroît un troupeau d’autant plus dangereux vis-à-vis des marques en crise que peu disposé à dépenser du temps en vaines recherches et vérifications, faute de temps et de recul, mais aussi faute d’une réelle volonté de compréhension et de discernement, car peu adeptes du moindre effort…

Des constats générationnels à (grandement) relativiser tant l’hypersensibilité sociétale et communautaire, le manque de recul et le manichéisme règnent de plus en plus en maîtres sur les réseaux sociaux… 

Evidemment – celles et ceux d’entre vous qui fréquentent régulièrement les réseaux sociaux et notamment Twitter pourront sans doute en témoigner – il me semble en ce qui me concerne que les travers dépeints ci-dessus par Jean-Marc Lehu ne sont nullement l’apanage des millenials. Ils tendent hélas, à mon humble avis, à être partagés par toutes les classes d’âge et à se vérifier pour une proportion de plus en plus large (et d’ailleurs inquiétante) de socionautes.

Car au-delà de leur utilité et des belles perspectives offertes par les réseaux sociaux en matière de veille, d’accès à l’information et d’innovation notamment, comme l’ont souligné la plupart des auteurs du dernier Livre blanc d’Alban Jarry (Voir ici : L’accès à l’information et aux réseaux sociaux sociaux rend-il plus innovant ?), force est de constater, ne serait-ce qu’en parcourant les fameux trending topics de Twitter, que l’hypersensibilité sociétale, le manque de recul et d’écoute, la polarisation des débats (si tant est qu’on puisse vraiment qualifier de « débats » des échanges d’invectives et de noms d’oiseaux) et l’hyper-agressivité, tendent hélas à devenir la norme sur un nombre croissant de sujets qui y sont abordés… Sujets dont des communautés de plus en plus structurées s’empressent d’ailleurs de s’emparer pour les commenter à leur manière, les dénaturer et imposer une vision du monde souvent étroite et étriquée, car les réseaux sociaux ne sont évidemment nullement synonymes de vertu. Ils sont toujours et plus que jamais ce que les socionautes en font…

Dans un tel contexte, rien d’étonnant qu’un certain manichéisme et une « logique booléenne » où ne finissent par exister que les O et les 1 aient tendance à prévaloir sur les réseaux, au point que je rejoindrai presque ce jugement sévère de l’enseignant de Paris 1 – Panthéon Sorbonne : « Là est bien l’enseignement majeur […] d’un univers ‘digital’ où ne règnent que les 0 et les 1 : interprétations et jugements sont systématiquement booléens, bon ou mauvais, noir ou blanc, gentil ou méchant. La nuance interprétative n’a plus sa place. Elle est par définition source de débats, de discussions et d’échanges, donc consommatrice d’un temps discrétionnaire qui n’est plus disponible. Au surplus, si la nuance est toujours source de richesse intellectuelle, elle exige recul, compréhension et discernement, donc efforts, a minima. Des efforts que nous ne sommes souvent plus disposés à fournir […] Tremblez, marques et produits, la grande inquisition permanente ne fait que commencer ! »

La conséquence de tout ceci ? Pour 100 marques désignées à la vindicte générale et jetées en pâture sur les réseaux – pour de bonnes ou de moins bonnes raisons – combien de bad buzz et/ou de crises réputationnelles en réalité illégitimes ? Comme le démontrent des exemples de plus en plus nombreux, la  « grande inquisition 2.0 » ne fait malheureusement pas dans le détail…

Prenez les bad buzz subis récemment par Dove (groupe Unilever) ou par L’Oréal. Pour la première de ces marques, suite à la présentation en octobre 2017 d’un extrait d’une de ses publicités à venir pour un gel douche, où l’on pouvait voir des consommatrices de diverses origines changeant de couleur de peau en ôtant leur t-shirt, une capture d’écran ne montrant que le passage où une femme noire devient blanche a fait le tour du monde… Avant même d’avoir pris connaissance de l’extrait complet, qui commençait d’ailleurs par la symbolique inverse (une femme blanche devenant noire), les socionautes s’enflammèrent sur leur réseaux sociaux favoris et sur la toile pour dénoncer une « nouvelle preuve du racisme de Dove »², et appeler au boycott de la marque… au point que Dove fut obligée de présenter ses excuses et de retirer complètement son spot, qui ne fut jamais exploité. Regardée au degré 0 de la compréhension et du fact-checking en l’occurrence, la capture proposée au départ par une internaute cherchant manifestement à créer la polémique pouvait en effet être considéré comme raciste… à condition de ne pas tenir compte de l’extrait entier et de ne surtout pas prendre en considération les dénégations de la marque.

De même, alors qu’elle venait à peine de suspendre le contrat conclu avec Munroe Bergdorf, premier mannequin transgenre de la marque, L’Oréal Paris UK fut victime d’un important bad buzz et accusée à tort (triste ironie) de ségrégation ! Mal informés, aveugles ou inconscients et en tout cas peu désireux d’aller fact-checker plus loin que le bout de leur nez, les internautes se mobilisèrent massivement sans aller rechercher la cause de ce licenciement : le fait que Munroe Bergdorf avait tenu des propos violemment racistes sur son compte Facebook, en l’occurrence !

Le faux plus fort que le vrai sur les réseaux sociaux ?

Un autre travers des réseaux sociaux, ou plutôt des internautes sur les réseaux sociaux – dont les marques doivent absolument tenir compte aujourd’hui – est la propension à partager davantage le faux que le vrai…

Jugement de valeur ou propos de comptoir, me direz-vous ? Que nenni : cette propension vient justement d’être démontrée de manière rigoureuse et scientifique par 3 chercheurs travaillant au Medialab du MIT (Massachusetts Institute of Technology), qui ont analysé pas moins de 126 000 histoires différentes, qui se sont répandues sur Twitter entre 2004 et 2017. Des histoires retweetées pas moins de 4,5 millions de fois en l’occurrence…

Et les résultats de cet étude sont à ce point tranchés que l’illustre revue Science a décidé d’en faire la Une d’un de ses derniers numéro, sous ce titre explicite : « How lies spread. On social media, false news beat the truth »

Après avoir rigoureusement vérifié, une par une et avec l’aide de 6 associations, chacune des 126 000 histoires évoquées ci-dessus, puis analysé leur diffusion, Sinan Aral, Deb Roy et Soroush Vosoughi sont arrivés à cette conclusion que les fausses nouvelles sont diffusées plus vite, plus loin, plus profondément et plus largement que les vraies.

Et pas qu’un peu manifestement, puisque sur Twitter, il faut six fois plus de temps au vrai qu’au faux pour toucher 1 500 personnes.  Et les retweets de fausses informations s’avèrent en moyenne beaucoup plus nombreux que ceux des informations vraies, leur « partage en cascades » étant bien plus larges et profonds que ceux des informations vraies et vérifiées. Les 3 chercheurs ont en effet estimé que le 1% des cascades de faux les plus diffusées se propage à la vitesse de l’éclair vers 1 000 à 100.000 personnes en moyenne, un phénomène qui ne se produit pas avec les « vraies infos ».

Se penchant sur les ressorts plus profonds de cette appétence des socionautes pour les fake news et autres rumeurs / « légendes urbaines », Sinan Aral, Deb Roy et Soroush Vosoughi croient pouvoir affirmer que celles-ci apparaissent tout simplement comme davantage nouvelles et plus surprenantes aux yeux des internautes, au détriment des informations rationnelles et vérifiées qui leur semblent en général « plus ennuyeuses ». La palme des fausses informations se diffusant le plus vite touchant d’après les 3 chercheurs le domaine de la politique…

De la nécessité de la veille, de la réactivité et de la transparence pour les marques, mais aussi de leur empathie, pour faire face à cette nouvelle donne.

On le voit, et je ne poursuivrai pas plus loin ma démonstration des travers des réseaux sociaux ou des socionautes, car après tout cette propension à privilégier le faux et le « merveilleux » existe chez l’homme depuis la nuit des temps, la différence aujourd’hui résidant uniquement dans la rapidité et l’intensité de sa propagation : il faut absolument que les marques tiennent compte de ces éléments pour ajuster leur communication particulièrement en situation de crise.

Si je ne peux que conseiller aux entreprises de communiquer de la manière la plus transparente possible, auprès de leurs salariés en premier lieu, particulièrement dans les périodes de changement, il demeure primordial également d’installer les conditions d’une veille efficace. Il s’agit en effet d’analyser soigneusement en amont tous les circuits de diffusion de l’information et d’identifiant un à un  ses détracteurs et éventuels défenseurs, pour être à même de les mobiliser et de leur fournir rapidement les argumentaires pertinents en situation sensible, en tuant la rumeur ou le bad buzz dans l’oeuf dès que ceux-ci commencent à se propager sur les réseaux sociaux.

Mais les exemples cités ci-dessus de Dove et l’Oréal nous le démontrent : une information erronée ayant toujours plus d’écho que son démenti, il s’avère de plus en plus nécessaire de faire acte de contrition en s’excusant auprès de ses publics, même si on est dans son bon droit. Car il s’agit avant tout de montrer son empathie, et d’en laisser une trace… Dans les deux cas que je viens d’évoquer, les marques ont préféré s’excuser d’une erreur non commise – pour couper court à la rumeur et au bad buzz – plutôt que de chercher à se justifier et de passer pour insensibles à l’émotion des internautes. C’est un principe qui existait certes déjà dans la communication des crises dites « traditionnelles », mais qui se renforce encore et se généralise avec les crises réputationnelles nées sur le web : l’empathie devient plus que jamais une des clés majeures, car il s’agit avant tout de faire « amende honorable », avant même de prouver froidement et rationnellement que l’entreprise a eu raison d’agir comme elle l’a fait ou que ses collaborateurs ont bien fait leur travail…

 

 

Notes et légendes :

 

(1) « Millenials versus marques en crise : beaucoup de bruit pour rien ? » par Jean-Marc Lehu, enseignant-chercheur à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, La revue des marques –  Janvier 2018

(2) Les accusations de 2017 à l’encontre de Dove, en l’occurence infondées comme le souligne ici Eva Sophie, font néanmoins suite à une polémique plus sérieuse survenue en 2011 au sujet d’une autre publicité montrant des mannequins de diverses origines et dont le message dévalorisant (ou plus que maladroit selon les analyses) fut largement pointé du doigt. 

 

Crédits photos et illustrations : 123RF, La Revue des marques, The BrandNewsBlog, X, DR.

 


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